samedi 13 novembre 2010

Des squats en sursis… et un festival en survie

Paris : Des squats en sursis… et un festival en survie

Funeste mois d’octobre pour les squats parisiens. La Marquise et le Gros Belec ont tous deux été expulsés. Cynique hasard du calendrier : ces espaces autogérés s’apprêtaient à faire le plein de manifestations artistiques à l’occasion du Festival des Ouvertures Utiles.

Le local industriel était désaffecté depuis plus de huit ans. Le 107 rue du Chemin Vert (XIè) se retrouve à nouveau vacant pour une durée indéterminée. Les membres du collectif Curry Vavart avaient obtenu quatre jours pleins pour plier bagage. Les valises sont bouclées depuis vendredi dernier. Les squatteurs occupaient, sans droit ni titre, un immense bâtiment de 2700 m2 depuis le 15 février 2010. Ils ont donc été délogés le 29 octobre à l’aube, dans le calme. La préfecture de police a dépêché une centaine de CRS pour faire appliquer une implacable décision de justice. Et ce, à 48h de l’épineuse trêve hivernale. Malgré l’absence de tout projet confirmé ou imminent pour leur bien, les propriétaires, une SCI familiale, n’ont rien voulu entendre. Insensibles à la pléthore d’activités artistiques qui fleurissaient dans leur hangar abandonné : créations pluridisciplinaires, répétitions, spectacles, ateliers, débats ou projections de films d’auteur. Terrain d’expérimentation et foisonnante pépinière de talents, le Gros Belec était aussi un lieu de vie et de rencontres. Au total, une quinzaine de personnes y résidaient en communauté, dont la mascotte : un bébé de 10 mois. Déjà contraints en début d’année d’enterrer le Bœuf 3 (XXè), Curry Vavart retourne aujourd’hui à la case suspens. Privée de QG, l’association ne désarme pas pour autant. Loin de là. « On s’est débrouillé dans l’urgence pour héberger tout le monde chez des amis. La suite est simple : on cherche un autre endroit modulable pour poursuivre et fédérer nos projets », clame Vincent Prieur, co-fondateur et chargé des relations publiques. Ce jeune plasticien milite pour « l’application de la loi de réquisition des logements vides ». Un texte voté en 1945 et tombé dans les oubliettes.

Un « baptême du FOU » entre espoir et désarroi

Moins d’une semaine avant la fermeture du Gros Belec, c’est la Marquise qui avait subi le même sort. Les forces de l’ordre ont défoncé la porte et fait usage de gaz lacrymogènes. Jeudi Noir, ardent défenseur des mal-logés, avait réquisitionné cet hôtel particulier, niché au cœur de la très chic place des Vosges (IVè), en octobre 2009. Une somptueuse bâtisse du XVIIè siècle, « oubliée » depuis 45 ans. Sa propriétaire, une femme de 88 ans, a gagné son bras de fer. Inflexible, la cour d’appel de Paris a ordonné une expulsion sans délai, assortie du versement d’indemnités d’environ 80 000 euros pour les squatteurs. Au nom de l’atteinte au droit de propriété. Résultat : étudiants et précaires redécouvrent la rue, endettés, et la Marquise doit annuler sa participation au Festival des Ouvertures Utiles. Dans ce contexte, la 6è édition du FOU a pris ses quartiers sur Paris et la proche banlieue. Bonnant malant, cette « potion contre la sclérose culturelle » bat son plein dans quatorze sites alternatifs, illégaux, tolérés ou conventionnés et, par nature, éphémères. Des bulles de liberté vectrices de lien social comme le Jardin d’Alice (XVIIIè), le Loft ou la Petite Rockette (XIè). En apparence, l’heure est à l’effervescence et la bonne humeur. Les organisateurs misent sur le soutien du public et la programmation éclectique, étalée sur trois semaines. Un savant dosage de concerts de rock industriel, expositions de peinture abstraite, performances burlesques, shows de jonglage surréalistes, théâtre de rue farfelu, diffusions vidéos iconoclastes, murs de graff subversifs ou expressions poétiques citoyennes. A retenir notamment : un vibrant hommage aux femmes artistes rendu au Carrosse (XXè). « Une invitation à la folie, à la passion, à l’ouverture de brèches dans la réalité et la grisaille quotidienne » écrit l’Intersquat qui attend 10 000 à 15 000 spectateurs d’ici le 14 novembre. Toutefois, le réseau informel voit l’avenir s’assombrir en Europe : "Après l'Allemagne et la Hollande, la France prend des mesures antisquat, radicales et sécuritaires. Avec la loi Hortefeux Loppsi 2, le préfet peut expulser sans jugement, contre l’avis du propriétaire ou à sa place, de plein gré ou de force et sans obligation de relogement. Même propriétaire, vous pourrez être amené à quitter votre habitation si celle-ci est jugée insalubre, dangereuse ou portant atteinte à la tranquillité publique. Sur la base de ces critères, n’importe quel lieu risque l’évacuation en 48h ». Même constat d’inquiétude pour Yabon, indéfectible porte-drapeau des « squarts » de la capitale : « Je suis catastrophé. La Marquise et le Gros Belec étaient deux des meilleures adresses de Paris, tenues par des équipes exemplaires. Loin des clichés. C’est une régression, le symbole du mépris et de l’incompétence de la Mairie. Ils avaient les moyens d’intervenir mais quand il faut se mouiller… L’idée, c’est d’exiler les artistes ? Qu’on s’y trompe pas, ce climat de tension n’incite personne à baisser les bras. Au contraire, il renforce notre détermination !»

Mais que fait l’Hôtel de Ville ? Priorité au bling-bling ?

Déclarations d’intentions, désirs de régularisation ou construction d’ateliers, la Mairie de Paris semble armée de bonne volonté pour préserver la place de l’art vivant dans la cité. L’adjoint de Bertrand Delanoë en charge de la Culture, Christophe Girard, répète à l’envie les moyens faramineux déployés pour le fantomatique 104. En mai 2009, le conseil municipal, heureux possesseur de lieux inoccupés, avait même réaffirmé son souhait de les mettre à disposition des groupes de squatteurs. Depuis ? Rien ou presque. Les artistes restent confrontés à des loyers exorbitants et à la pénurie d’espaces disponibles. Et forcés de mener, tambour-battant, une mini-guérilla urbaine pour s’exprimer. Pourtant, depuis les années 80, ces nomades revendiqués ne réclament « ni places ni prébendes, juste une forme de tolérance : exister dans les interstices de la ville, occuper temporairement ses friches, vivre au plus intime des quartiers, sans être attaqués, traînés en justice, vilipendés » (manifeste de la Miroiterie). Héritiers contestataires de la Cour des Miracles, les squats sont devenus des zones tampons, des laboratoires pirates et multiformes qui contribuent à restaurer le dynamisme, en vertigineuse perte de vitesse, d’une Ville Lumière assagie. Loin de cette reconnaissance méritée, les cultures populaires naviguent en eaux troubles. Plus que jamais...
Guillaume GOMIS

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